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PARUTION le 4 novembre chez Albin-Michel!!


La superbe biographie croisée par l'amie Liliane Kerjan de trois génies de la littérature noire. Ces trois auteurs noirs américains du XXe siècle qui ont dédié leur vie et leur œuvre au combat pour l'émancipation, la dignité et l'égalité. A travers le récit de leur parcours, l'auteure brosse un portrait d'une Amérique raciste et tourmentée qui peine à refermer les blessures héritées du temps de l'esclavage. (Lire ci-dessous l'avant-propos dans son intégralité)

ILS ONT FAIT UN RÊVE Richard Wright, Ralph Ellison et James Baldwin Trois grands écrivains contre le racisme Édition brochée 21.90 € 4 Novembre 2020 140mm x 205mm 320 pages EAN13 : 9782226436856

« Wright, Ellison, Baldwin : trois êtres aux veines irriguées par le sang de l’Afrique, trois maîtres du Verbe qui vont secouer l’Amérique en témoignant de leurs parcours, désireux de faire entendre leur révolte et de revendiquer leurs qualités de penseurs, d’écrivains, de militants. Trois hommes de couleur qui haranguent, qui publient pour se libérer d’un sentiment d’injustice et de peur, et qui portent les cicatrices de leurs rapports tendus avec l’Amérique blanche, dans le Sud comme dans le Nord. »

Entremêlant le destin de ces trois écrivains noirs américains de premier plan, dont les vies couvrent l’intégralité du XXe siècle, Liliane Kerjan, spécialiste de littérature américaine, réalise un triptyque aux couleurs fortes et brosse le portrait d’une Amérique tourmentée qui n’a toujours pas réussi à guérir des blessures héritées du temps de l’esclavage. Alors qu’aujourd’hui le pays tout entier s’embrase face à l’injustice et aux violences policières endémiques qui se multiplient à l’encontre des Noirs, ce livre fait résonner de manière inédite les mots de trois figures majeures de la littérature et du combat pour l’égalité de tous, porteurs d’un grand rêve inachevé.

--------- La mort de George Floyd le 25 mai 2020, victime afro-américaine de l’acharnement de la police dont les images insoutenables ont fait le tour du monde, a dramatiquement remis en lumière les discriminations raciales endémiques dont souffrent les États-Unis. Et si l’ampleur du mouvement de protestation qui a balayé le pays à la suite de cette tragédie laisse à penser que l’Amérique tout entière souhaite aujourd’hui une réponse rapide et durable aux inégalités et aux violences policières, il faut malheureusement se rappeler que ces contestations n’ont rien d’inédit et se répètent depuis les années 1960. Il y a plus d’un demi-siècle, elles ont notamment été portées par trois écrivains engagés, dont l’héritage reste tristement d’actualité : Richard Wright, Ralph Ellison et James Baldwin. Trois auteurs, noirs et en colère, dont les vies couvrent l’intégralité du XXe siècle : Richard Wright naît en 1904 à Natchez dans le Mississippi, tandis que Ralph Ellison meurt en 1994 à New York. Entre les deux, en 1979, James Baldwin entamait l’écriture de Remember This House – qu’il laissera inachevé –, trente pages en hommage à trois grandes figures de la lutte pour les droits civiques, assassinées avant même d’avoir atteint l’âge de quarante ans : Medgar Evers en 1963, Malcolm X en 1965 et Martin Luther King en 1968, qui tous revivent à l’écran dans le film documentaire de Raoul Peck, I Am Not Your Negro sorti en France en 2017 et directement sur ce texte.

Wright, Ellison, Baldwin : trois êtres aux veines irriguées par le sang de l’Afrique, trois maîtres du Verbe qui vont secouer l’Amérique en témoignant de leurs parcours, désireux de faire entendre leur révolte et de revendiquer leurs qualités de penseurs, d’écrivains, de militants. Trois hommes de couleur qui haranguent, qui publient pour se libérer d’un sentiment d’injustice et de peur, et qui portent les cicatrices de leurs rapports tendus avec l’Amérique blanche, dans le Sud comme dans le Nord.

Leurs destins croisés vont offrir une voix et une visibilité nouvelle au peuple noir après deux siècles de souffrance, celui-ci s’étant vu frapper d’exclusion sur le sol américain avant même la création des États-Unis. Ainsi George Washington, ancien planteur en Virginie et donc propriétaire d’esclaves, décide-t‑il en 1775, qui deviendra par la suite le premier président de la nation nouvellement créée lorsqu’il prend la tête des troupes engagées contre les Anglais dans la guerre d’Indépendance, d’exclure les hommes de couleur de l’Armée continentale, tandis que le président Jefferson signe en 1802 une loi qui leur interdit de transporter le courrier : l’ostracisme vient donc de très loin, des origines mêmes du pays. La Constitution initiale, dans ses calculs pour la représentation du peuple au sein des instances nationales et le contrôle du pouvoir, distingue soigneusement Noirs et Blancs, colons et esclaves – soit donc des hommes à part entière d’un côté et des fractions d’êtres humains de l’autre. Si 1808 marque la fin du commerce légal des esclaves, l’importation clandestine se poursuit et il faut attendre le président Lincoln et son 13e amendement pour sceller l’abolition de l’esclavage en 1865. Puis la toute fin du XIX siècle pour voir consacrer par la Cour suprême, dans l’arrêt Plessy v. Ferguson, la doctrine des Noirs « séparés mais égaux », décision pernicieuse qui semble établir l’égalité mais qui, dans les faits, permet à partir de 1896 d’instaurer un véritable apartheid, en particulier dans le Sud du pays. Il est important de se souvenir qu’entre 1890 et 1950, plus d’une centaine de Noirs ont été lynchés chaque année dans les quatorze États du Sud pour des infractions supposées, des accusations de viol ou de manque de respect à une femme blanche, donnant alors aux foules un spectacle atroce dont on allait jusqu’à tirer des cartes postales. L’interprétation de « Strange Fruit », un poème écrit en 1937 par Abel Meeropol – « Southern trees bear a strange fruit / Blood on the leaves and blood at the root / Black bodies swinging in the southern breeze » (Littéralement : « Les arbres du Sud portent un fruit étrange / Du sang sur les feuilles et du sang aux racines / Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud. ») – et chanté à la fin de chaque récital par la grande Billie Holiday, les yeux fermés dans une quasi-obscurité, se faisait aussi l’écho de cette tragique réalité.

Force est de constater aujourd’hui que les discriminations raciales n’ont pas disparu, non plus que les bavures policières ou les incarcérations massives, au point que la réponse de James Baldwin, interrogé par le mensuel Esquire en 1968 sur ses préconisations pour apaiser les tensions qui ont embrasé les États-Unis suite à l’assassinat de Martin Luther King, « Je sais qui meurt dans les émeutes », a récemment été republiée à deux reprises par le même magazine, d’abord en 2017 puis en 20201, au motif que « ses propos sont toujours incroyablement pertinents aujourd’hui ».

Dans la longue histoire qui court de la traite esclavagiste au mouvement Black Lives Matter ou aux récentes manifestations de Black Brilliance Collective sous la pancarte « Protect Black Bodies » (littéralement :« Protégez le corps des Noirs »), dans un pays qui n’a pas dépassé ses traumatismes fondateurs, l’horreur et la peur perdurent en dépit des deux mandats de Barack Obama. Il existe un lien organique puissant entre le mouvement pour les droits civiques des années 1960 à 1980 et les luttes contemporaines contre les violences policières qui fauchent la vie des Noirs, sans sommation et à la moindre suspicion. Ainsi les mots que chantaient Louis Armstrong : « What did I do to be so black and blue? »(« Qu’ai-je fait pour être si noir et broyer tant de noir ? ») restent-ils encore tristement d’actualité, de même que les réflexions de Jean-Paul Sartre dans « Orphée noir » lorsqu’il écrit : « Le Noir est la victime de l’oppression en tant que Noir. Et puisqu’on l’opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il lui faut prendre conscience. Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre, ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Aussi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramène le mot nègre qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir en face du Blanc, dans sa fierté. »

Déjà, en mars 1940, Richard Wright, figure de proue de la littérature noire contemporaine, livrait dans la postface d’Un enfant du pays ses pensées ironiques et amères sur l’état de l’Amérique : « J’estime avoir de la chance de pouvoir écrire des romans aujourd’hui, alors que le monde est dans les affres et les bouleversements. Des romanciers américains plus anciens, Henry James et Nathaniel Hawthorne, se plaignaient amèrement de l’aridité et de la platitude de la vie qui les entourait. Je crois que s’ils vivaient encore, ils se sentiraient plus à l’aise à cet égard dans l’Amérique moderne. Il est exact que nous n’avons point une grande Église en Amérique ; que nous ne pouvons pas nous vanter de nos traditions nationales, que notre armée n’est pas mieux qu’une armée de mercenaires, qu’il n’y a chez nous aucun groupe dont les valeurs humaines soient acceptables par tout le pays, que nous n’avons ni riches symboles, ni rituel coloré. Nous n’avons qu’une civilisation industrielle avide d’argent. Mais les nègres incarnent un passé suffisamment tragique pour satisfaire la situation spirituelle chez un James lui-même, et l’oppression des nègres projette sur notre vie nationale une ombre assez pesante pour suffire même aux sombres méditations d’un Hawthorne. Et si Poe vivait, il n’aurait pas à inventer l’horreur, c’est l’horreur qui l’inventerait. »

Comme en écho, dix ans plus tard, Ralph Ellison se réfère au même Poe pour décrire la condition du personnage de son roman emblématique, incarnation du Noir dans la société américaine : « Je suis un homme qu’on ne voit pas. Non, rien de commun avec ses fantômes qui hantaient Edgar Allan Poe ; rien à voir non plus avec les ectoplasmes de vos productions hollywoodiennes. Je suis un homme réel, de chair, de sang, de fibres et de liquides – on pourrait même dire que je possède un esprit. Je suis invisible, comprenez bien, simplement parce que les gens refusent de me voir. Comme les têtes sans corps que l’on voit parfois dans les exhibitions foraines, j’ai l’air d’avoir été entouré de miroirs en gros verres déformants. Quand ils s’approchent de moi, les gens ne voient que mon environnement, eux-mêmes ou des fantasmes de leur imagination – en fait tout et n’importe quoi sauf moi. »

Écho encore, celui de James Baldwin en août 1965 dans les pages du magazine Ebony : « Être noir en Amérique, c’est être en colère presque tout le temps. Si bien que votre premier problème, c’est d’apprendre à contrôler cette colère afin qu’elle ne vous détruise pas […] Notre colère ne vient pas seulement de ce qui nous arrive à nous, mais de tout ce qui se passe autour de nous constamment […] La situation en Amérique est très particulière, peut-être sans précédent dans le monde. Nul rideau n’est plus lourd que celui de la culpabilité et du mensonge derrière lequel se cachent les Blancs. Ce rideau se révélera sans doute plus mortel que le rideau de fer dont on parle tant et dont on sait si peu de choses. En Amérique, le rideau est de couleur. La couleur. Les Blancs ont utilisé ce mot, ce concept pour justifier des crimes innommables, dans le passé et le présent. » Certes, le Niagara Movement, créé en 1905 par W.E.B. Dubois et William Monroe Trotter, pose les jalons d’une lutte pour les libertés civiles et politiques, mais l’émancipation des gens de couleur devra beaucoup à des écrivains reconnus, des militants infatigables, des voyageurs engagés tels Richard Wright, Ralph Ellison et James Baldwin, qui vont occuper leur siècle et le transformer, déterminés à faire avancer l’Amérique et ses valeurs, et ce n’est pas un hasard si la France les a tous trois accueillis sur son sol, ce pays qu’ils ont tant aimé. Trois rhéteurs, trois flambeaux, qui dans les grandes instances internationales, qui dans les cénacles des puissants, qui sur les estrades et les barricades : à chacun sa cible, son public et son discours, à chacun son support médiatique pour dire l’urgence et la source des choses et des maux. Toni Morrison, Prix Nobel de littérature en 1993, les a connus tous les trois et a régulièrement rendu hommage à leur clairvoyance, à leur humanité généreuse et active dans ce pays victime de tant d’inégalités et d’exactions de la part des forces de l’ordre, elle qui déclarait sans ambages : « Je veux voir un flic tirer sur un adolescent blanc et sans défense. Je veux voir un homme blanc incarcéré pour avoir violé une femme noire. Alors seulement, si vous me demandez : “En a-t‑on fini avec les disparités raciales ?”, je vous répondrai oui. »

Mais rien n’a vraiment changé : les meurtres d’Ahmaud Arbery, jogger afro-américain abattu en Géorgie le 23 février 2020, de Breonna Taylor, tuée en mars de la même année à son domicile du Kentucky, et de George Floyd à Minneapolis deux mois plus tard en sont la déchirante illustration, et ont déclenché d’immenses manifestations antiracistes mêlant Noirs et Blancs dans toutes les grandes villes américaines. Le cercle de réflexion Urban Institute de Washington considère aujourd’hui que la culture policière aux États-Unis est encore profondément enracinée dans la chasse aux esclaves et la mise en application des lois sur la ségrégation raciale. C’est l’éternel retour aux premiers combats pour les droits civiques, flambées et couvre-feux ressurgissent tandis que se multiplient les discours et les revendications.

Reste la trace des grandes voix et les textes des livres fondateurs, auxquels appartiennent ceux de nos trois auteurs. Leurs romans sont devenus des classiques touchant un très large public, leurs essais et entretiens n'ont de cesse d’être revisités et commentés. Ils sont là, cités dès la toute première édition de l’Encyclopædia Universalis, qui note à la fois la fascination exercée par la littérature américaine et la place exceptionnelle de l’homme noir dans la société : « Parallèlement aux hommes d’action comme Martin Luther King et Malcolm X, s’affirment des écrivains comme Ralph Ellison et James Baldwin. » Cinquante ans plus tard, ils demeurent à ce point d’actualité qu’on ne compte plus les adaptions de leurs œuvres pour le cinéma ou le petit écran. Ces trois hommes très différents, complémentaires, parfois amis, parfois antagonistes, étaient liés par une ambition commune, celle de la reconnaissance à part entière de la grandeur des Afro-Américains, porteurs d’un grand rêve inachevé.

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