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Dans le Monde Mag du 4 juillet - Un dossier de 6 pages sur la spoliation scandaleuse de la maison de

A Saint-Paul-de-Vence, l’« ancre » effacée de James Baldwin

Par Lucas Minisini

Durant dix-sept ans et jusqu’à sa mort en 1987, l’écrivain afro-américain a trouvé refuge dans une bâtisse du sud-est de la France. Un lieu de la mémoire noire dont presque rien n’a été préservé.

En chaussettes dans ses claquettes, le gardien de la résidence Le Jardin des arts, à Saint-Paul-de-Vence, nous indique la sortie : « Bien sûr qu’on sait qui est James Baldwin et qu’il a habité ici, on n’est pas des incultes ! », peste-t-il en ouvrant la grille. Pourtant, à cet endroit, rien ne témoigne de la présence passée de l’écrivain, essayiste et légende de la littérature américaine qui a pourtant vécu ici dix-sept ans, jusqu’à sa mort, en 1987. Près des trois bâtiments – dont la bâtisse où l’auteur travaillait –, pas d’indice non plus, confirme le jeune homme qui s’exclame, avant qu’on prenne la porte : « C’est quand même mieux que ce que c’était à la fin de sa vie si vous voulez mon avis. On a honoré sa mémoire ou on l’a bafouée ? »

Nous sommes en juin 2020 et, sur le terrain d’un peu plus de deux hectares, les vastes immeubles paradent dans toute leur largeur face à la mer Méditerranée au loin. Du béton, du verre et des terrasses dessinent les dix-neuf appartements livrés à la fin 2019 par la Socri et son patron Henri Chambon – puissant acteur du BTP et 149e fortune française en 2019. Dans les rares logements dont les volets ne sont pas clos, les seules traces de vie apparentes se résument à quelques citronniers, des chaises clinquantes et deux toiles en guise de décoration extérieure.

En contrebas, une aire de jeux déserte. Comme si les balançoires et le toboggan n’avaient encore jamais entendu de cris ­d’enfants. « Je ne croise personne en général », glisse le paysagiste, occupé à planter pour « faire méditerranéen » et à tenter de fondre l’ensemble dans la nature devenue rare. Une quinzaine de logements auraient déjà été vendus début 2020, surtout à « des Anglais », précise le jardinier. « Ce sont des riches, en tout cas. »

Seules deux habitations ont été cédées à moins d’un million d’euros, à en croire le site officiel du domaine ; l’appartement de la « ­bastide », un des deux seuls édifices classés de la propriété, cherche encore preneur pour ses trois pièces à un peu moins d’un million et demi. C’est là, entre ces quelques murs d’époque encore debout, que James Baldwin est décédé le 1er décembre 1987 dans la nuit, vers deux heures du matin. Là aussi, dans la pièce en bas, qu’il écrivait à coups de cigarettes et de whisky Johnnie Walker Black Label, souvent jusqu’aux premières heures du jour. Et aujourd’hui ? Le paysagiste désigne la maison d’un mouvement de menton : « Cette partie-là, à l’intérieur, c’est le spa maintenant. »

Des écrits plus contemporains que jamais

Pendant la décennie 1970, c’est entre ces mêmes murs, sans vestiaire ni piscine, que James Baldwin rédige Remember this House, cette collection inachevée d’essais et de lettres reprise par le réalisateur haïtien Raoul Peck dans son documentaire I Am Not Your Negro sorti en 2017 : il y pointe le racisme systémique et les violences policières subies par les Afro-Américains. Quelques années plus tôt, James Baldwin et la dramaturge Lorraine Hansberry ont rendu visite à Bobby Kennedy, ministre de la justice et frère du président. Hansberry l’interpelle : « Je me fais beaucoup de souci pour l’état d’une civilisation capable de produire cette photo d’un policier blanc debout sur la nuque d’une femme noire à Birmingham. »

« C’était il y a cinquante-sept ans, souligne le cinéaste. Tout le monde savait, déjà ! » L’écho est saisissant alors que la mort de l’Afro-Américain George Floyd, après une interminable pression du genou d’un policier blanc sur sa nuque, a entraîné des manifestations dans le monde entier. Et les écrits de James Baldwin apparaissent plus contemporains que jamais. Certains textes pourraient être « adaptés mot à mot » pour parler des événements actuels, suggère Raoul Peck.

Il pense notamment à ses Notes of a Native Son (Chronique d’un pays natal), offrant une réflexion sur la condition noire aux États-Unis et en Europe, ou à sa plongée abrupte sur la trace des meurtres d’enfants noirs à Atlanta entre 1979 et 1981 dans The Evidence of Things Not Seen (Meurtres à Atlanta). Les jeunes militants antiracistes scandent ses mots dans les manifestations, des extraits de ses textes sont cités sur les réseaux sociaux, partagés par des milléniaux en colère. « Chaque phrase est une flèche qui concerne cinq cents ans d’histoire en Europe et en Amérique », affirme Raoul Peck.

Lorsque « Jimmy », comme l’appellent ses proches, arrive à Saint-Paul-de-Vence, il n’a rien d’un auteur obscur. Ses romans Go Tell It On the Mountain (La Conversion), Giovanni’s Room (La Chambre de Giovanni) ou Another Country (Un autre pays) sont des best-sellers, honorés dans le New York Times. Ils sont presque tous traduits dans des dizaines de langues. Ses essais, eux, chamboulent l’Amérique et font de lui la nouvelle icône du mouvement pour les droits civiques.

Fuir la haine

En 1963, c’est The Fire Next Time (LaProchaine Fois, le feu) et cette première partie sous la forme d’une lettre adressée à son neveu, comme un espoir. Dans la foulée, la couverture du magazine Time. Et aussitôt les tragédies : Medgar Evers, militant pour les droits civiques, assassiné cette même année 1963 par un membre du Ku Klux Klan, puis Malcolm X en 1965 et Martin Luther King en 1968. Trois proches amis de Baldwin, balayés en cinq ans. « À chaque fois, c’est un coup pour lui, pas seulement sur le plan de la lutte, mais personnellement. Il en souffre physiquement », pointe Raoul Peck. Les militants les plus radicaux le prennent de haut, comme si ses propos étaient déjà démodés. « Martin Luther Queen » le surnomment-ils entre eux en gloussant, allusion homophobe à son orientation sexuelle.

Son amie l’actrice Simone Signoret lui offre une porte de sortie : une belle maison est disponible à la location aux portes de Saint-Paul-de-Vence. Situé à une petite vingtaine de kilomètres de Nice, le village est habitué des personnalités en tous genres – Chagall y a vécu, Matisse, Giono, Prévert, Montand… y ont séjourné. À la jonction entre le chemin du Pilon et la route de la Colle, « Mademoiselle Faure » est prête à accueillir James Baldwin.

« CE QU’IL S’EST PASSÉ, C’EST UNE SPOLIATION. UNE SPOLIATION DE MÉMOIRE ET UNE SPOLIATION DES BIENS DE CETTE FAMILLE. » RAOUL PECK, RÉALISATEUR

En France, l’auteur n’a plus besoin de constamment « regarder derrière son épaule », comme il le disait lui-même. Dans le documentaire The Price of the Ticket, de Karen Thorsen, Bernard Hassell, son assistant personnel, rejoue un court échange de cette période : « Sans cette maison, je serais mort me disait Jimmy. » C’est décidé, ce vieux mas sera son « ancre ». Raoul Peck : « Il voulait ce lieu pour se promener dans le jardin, recevoir des amis et écrire. »

Trente-trois ans plus tard, il n’y a plus de fauteuil pour recevoir des amis ni de bureau pour écrire. La douzaine de vastes pièces réparties en deux ailes autour de la bâtisse centrale n’est plus qu’un lointain souvenir, tout comme les fresques un brin extravagantes gravées sur les murs et les plafonds de cette maison rurale du XVIIIe siècle noyée sous la végétation : haies de romarin, tonnelles de vignes, et même champs d’asperges et de fraises, remarque le critique littéraire Henry Louis Gates Jr lors d’une visite à l’été 1973, relatée dans un essai (The Fire Last Time).

La promesse de « Mademoiselle Faure »

Il ne reste plus aucune trace de James Baldwin et de ses dix-sept années passées sur la Côte d’Azur. Un héritage perdu. Perdu ? Ce n’est pas l’avis du réalisateur de I Am Not Your Negro qui s’entretient régulièrement avec Gloria Baldwin, 88 ans, la sœur de James et gestionnaire de sa mémoire – c’est elle qui lui a donné l’autorisation de s’exprimer. Il souffle : « Ce qu’il s’est passé, c’est une spoliation. Une spoliation de mémoire et une spoliation des biens de cette famille. »

À l’époque, pourtant, tout semblait clair. Jeanne Faure, la propriétaire, voulait que la maison revienne à « Jimmy ». Au village, elle le précisait à qui voulait l’entendre. Elle l’avait même glissé dans de multiples interviews données dans les années 1970 et 1980, selon plusieurs habitants, comme pour l’officialiser, au cas où la mort débarquerait plus vite que prévu. Lui rachetait le lieu progressivement, au rythme du versement de ses droits d’auteur et de sa gestion parfois chaotique de ses finances. Il avait prévenu Bernard Hassell, son homme de confiance, peu de temps après son arrivée : « Je vais acheter cette maison. »

Tout pour garder ce « point de repos, loin de l’agitation new-yorkaise », raconte David Linx, 55 ans. Le chanteur de jazz belge a composé un disque avec l’écrivain américain, A Lover’s Question, en 1986. Il a surtout vécu dans cette maison de Saint-Paul-de-Vence aux côtés de « Jimmy » pendant plusieurs années, de 1984 à sa mort. Plusieurs vies d’une certaine manière. On dit de lui qu’il est devenu le fils adoptif de la famille Baldwin, il surnomme tendrement Gloria « l’oracle ».

Cette période provençale, il l’évoque avec joie et agitation : les longs déjeuners de 13 heures à 16 heures autour de la « welcome table », où se croisaient des amis, des anonymes et l’élite afro-américaine de l’époque – du génie de la trompette Miles Davis à la future Prix Nobel Toni Morrison en passant par la légende Nina Simone –, les « petites fringales à minuit avec du beurre de cacahuètes et du bacon grillé » et les discussions étirées du salon à la terrasse. Tout le monde voulait un bout de James Baldwin. « Des gens venaient parfois pour disperser les cendres d’un ami décédé sur la propriété et ensuite restaient déjeuner, raconte en souriant David Linx, “Jimmy” ne les connaissait même pas ! »

L’endroit était ouvert à tous, mais James Baldwin aimait surtout y recevoir sa famille. David Linx décrit l’« amour absolu » qui régnait entre les neuf enfants du clan Baldwin et leur mère, Berdis, décédée presque centenaire à la toute fin des années 1990. À Saint-Paul-de-Vence, les jeunes neveux et nièces du romancier se retrouvaient l’été ; quant à sa sœur Gloria et à son frère David, ils lui rendaient visite aussi souvent que possible. James Baldwin imaginait sa demeure comme un « bastion » pour ses proches, comme l’immeuble du 137 West 71st Street dans l’Upper West Side, à New York, acheté grâce à son ami Lucien Happersberger à une époque où un Noir américain ne pouvait pas légalement devenir propriétaire.

La villa saint-pauloise devait être au nom de sa mère. Pour s’en assurer, « Mademoiselle Faure » a indiqué devant plusieurs témoins qu’elle inscrivait le legs de la bâtisse sur une feuille qu’elle porterait toujours sur elle, dans une poche de son gilet. À sa mort, le document pourrait ainsi être transmis directement à un notaire pour valider l’héritage. Impossible de le manquer. En décembre 1986, à plus de 90 ans, quelques mois seulement après avoir accompagné James Baldwin recevoir la Légion d’honneur des mains du président François Mitterrand, Jeanne Faure décède. Dans sa poche, aucune trace du document.

Bataille judiciaire

Quand l’auteur disparaît, un an plus tard, le combat commence. Aisha Karefa-Smart, la nièce de « Jimmy », n’en parle que très rarement, mais elle n’a pas oublié la fin de la décennie 1980. La tristesse, les funérailles avec ces centaines de personnes venues rendre hommage à son oncle, en plein Harlem, son quartier d’origine. Et très vite, les soucis. « Personne n’a saisi à quel point cet endroit est important pour nous », confie-t-elle par téléphone, depuis les États-Unis. Ou alors, cela leur importe peu.

Le matin de la mort de l’écrivain, des inconnus s’entassent à la porte pour réclamer des meubles. Certains expliquent que la maison est « à eux ». Des cousins éloignés de Jeanne Faure sont sur le coup tout comme l’employée de la maison, Josette Bazzini. Un premier procès est engagé ; en tout, il y en aura quatre. « On a dépensé énormément d’énergie et d’argent dans cette bataille », précise Aisha Karefa-Smart. D’abord, le vent semble tourner dans la bonne direction : les premiers bras de fer judiciaires sont remportés, et David, le jeune frère, s’installe un temps dans la bâtisse. Les amis et les proches débarquent pour les vacances, la welcome table rouvre, mais la pression monte encore d’un cran.

« JAMAIS ON N’AURAIT FAIT ÇA AVEC LA MAISON D’ALBERT CAMUS, CELLE D’HONORÉ DE BALZAC OU MÊME CELLE D’ERNEST HEMINGWAY. LÀ, ON NE VOULAIT PAS QUE LA MAISON REVIENNE À LA FAMILLE BALDWIN. » DAVID LINX, MUSICIEN ET AMI DE JAMES BALDWIN

Lorsque David décède d’un cancer, en 1997, sa compagne, Jill Hutchinson, raconte qu’elle reçoit « des menaces ». On tente de l’intimider, précise-t-elle aujourd’hui, certaines personnes aimeraient qu’elle quitte les lieux. La fatigue s’installe dans la famille Baldwin, essorée par les procédures judiciaires à répétition. Chaque coup de fil, chaque courrier les renvoient à leur peine. Chaque fois que Gloria évoque le sujet, elle débute par un long soupir. Ils finissent par perdre le quatrième procès, le combat de trop. En cause, des « forces trop puissantes », certaines possiblement au sein même du village, et un fonctionnement quasi « mafieux », selon David Linx, pour récupérer la propriété.

En 2007, Josette Bazzini est finalement reconnue par la justice comme la propriétaire de la maison. Aujourd’hui, à 85 ans, cette dernière assure que Jeanne Faure avait fait d’elle sa « légataire universelle » et lui avait promis la villa. « Pourquoi j’aurais refusé l’héritage, pardi ? déclare-t-elle par téléphone. J’ai des enfants. Je n’ai aucun remords. Ce n’était pas sûr que je gagne, mais j’ai gagné parce que j’avais un très bon avocat. » Sa fille, Nadine, ajoute que, de toute manière, personne n’était « désintéressé » dans cette histoire.

Le combat continue, en vain

Aisha Karefa-Smart rêvait, comme ses cousins, de transformer cette propriété en une retraite pour écrivains. À la place, Mme Bazzini la vend instantanément à Jean-Jacques Van Hartesveldt, un promoteur néerlandais aux envies d’hôtel cinq étoiles. Le projet ne voit pas le jour et il finit par céder le terrain à la puissante Socri. La championne du BTP imagine plutôt quatre grosses maisons ou une résidence de luxe. Quelque chose qui rapporterait de l’argent, assurément. « C’est tout ce qui a compté dans cette histoire », regrette Pitou Roux. La petite-fille des fondateurs de l’hôtel mythique La Colombe d’or croisait souvent James Baldwin, et lui parlait beaucoup. Parfois jusque tard dans la nuit. « Il faut être bête pour accepter qu’une maison comme la sienne soit détruite. »

Au milieu des années 2010, le maire de l’époque, Joseph Le Chapelain, a signé un permis de destruction – deux ailes de la bâtisse disparaissent discrètement – et un autre, de construction, pour le futur Jardin des arts. « Jamais on n’aurait fait ça avec la maison d’Albert Camus, celle d’Honoré de Balzac ou même celle d’Ernest Hemingway. Là, on ne voulait pas que la maison revienne à la famille Baldwin, s’agite David Linx. Avec Jimmy, dans les années 1980, on pensait que les choses allaient s’arranger sur les questions de racisme et les discriminations… Mais, quand on gratte la surface, rien n’a changé. »

Quand il lui arrive d’en parler avec Aisha Karefa-Smart, la nièce de l’auteur en revient souvent à la même explication, pas seulement ­financière. Elle précise : « Cette histoire est la même que celle qu’ont vécue des générations d’Afro-Américains avant nous, depuis des siècles. C’est très difficile de transmettre un héritage puisque, historiquement, on saisit nos propriétés. La perte de cette maison est un autre exemple de la suprématie blanche. Je ne suis même pas surprise ! »

La surprise est venue d’ailleurs. De Paris, plus précisément. Dans la capitale française, Shannon Cain, ghostwriter et éditrice en free-lance américaine, s’est prise de passion pour James Baldwin et sa propriété de Saint-Paul-de-Vence. En mars 2016, Le Monde publie un appel de l’auteur afro-américain Thomas Chatterton Williams : « La France doit sauver la maison de James Baldwin ».Shannon Cain veut faire quelque chose. Des réunions d’abord, une association des Amis de la maison Baldwin, puis des voyages sur place, de plus en plus fréquents.

En juin de la même année, elle squatte pendant une dizaine de jours la pièce où l’auteur est décédé, pour stopper le chantier encore peu avancé. « Des employés du promoteur immobilier ont ­encerclé la maison, raconte-t-elle, toujours installée dans le village. Ils avaient ramené des chiens pour m’intimider. » La Socri propose une seule et unique fois de revendre le terrain, pour un peu moins de 10 millions d’euros. Shannon Cain tente de lever des fonds, appelle des personnalités afro-américaines de premier plan et des anciennes connaissances de l’auteur.

Problème : elle n’a pas demandé l’accord de la famille Baldwin. « Nous étions régulièrement montrés du doigt sur les réseaux sociaux par certaines personnes dans le village, rejoue Aisha Karefa-Smart. On nous accusait de n’avoir rien fait pour la maison ! » Raoul Peck hausse le ton : « Ce n’est pas notre histoire, c’est son histoire à elle qu’elle continue de perpétrer, ce que les Noirs américains appellent les “white saviors”, que son élan soit sincère ou pas, peu importe. » Le réalisateur y a vu la mémoire de Baldwin « salie ». Par l’argent et par les polémiques. « Qu’est-ce qu’ils ont fait pour être à cette place où ils se disputent le cadavre d’un homme qui était plus grand qu’eux ? »

De vagues regrets

Dans le village, tout le monde semble alors avoir soudainement connu l’auteur, l’avoir invité à déjeuner, lui avoir parlé.

Des « opportunistes », balaie-t-on dans la famille. Pendant ce temps-là, les travaux passent à la vitesse supérieure. Il ne reste plus rien à sauver, ou si peu. Raoul Peck fait remonter la question aux plus hauts niveaux de l’État, alerte « des ministres de la culture », apparemment sensibles à la cause. Sans succès.

La redécouverte globale de James Baldwin à la suite du documentaire multirécompensé et du lobbying de groupes comme le Collectif James Baldwin, créé en 1993 par l’acteur Samuel Légitimus, n’y change rien. Il n’y aura pas davantage d’évolution quand les réseaux sociaux se mettront à enquiller les citations enthousiastes et les hommages et à relayer les rééditions en pagaille. Aisha Karefa-Smart : « Mon oncle m’a un jour dit : “Tu verras, j’aurai beaucoup plus de valeur mort que vivant.” »

Aujourd’hui, à la mairie de Saint-Paul, on regrette. « On ferait sûrement les choses différemment maintenant. On aurait pu rêver à plein de choses », indique le maire et ancien premier adjoint à l’urbanisme, aux travaux et à la sécurité, Jean-Pierre Camilla. Pendant la campagne des municipales, le sujet est revenu sur le devant de la scène. « Ça a été détruit, c’est fait. On peut peut-être rattraper ça différemment… », tente celui qui vient d’être réélu. Rémi Pesce va bientôt fêter ses 90 ans, la plupart passés dans le village et les alentours. Né de parents italiens, l’ancien chef d’entreprise et artiste se souvient d’avoir brièvement évoqué son expérience du racisme dans les années 1940, en France, avec James Baldwin.

C’était à l’occasion d’un dîner, organisé avec des amis. Durant le court trajet jusqu’à son atelier, il contourne toujours l’ancienne propriété de l’auteur en voiture. « C’était gigantesque et magnifique », rêve-t-il en essayant d’en redéfinir les limites d’un geste de la main. Aujourd’hui, les résidences secondaires pullulent, les hôtels de luxe aussi. La silhouette du Jardin des arts fend la colline. Rémi Pesce, lui, continue sa route : « Tout ça, c’est du passé maintenant. »

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