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REQUIEM L'enterrement de Baldwin - par Njami Simon 1991

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Tandis qu'à Paris, Christiane Besse et Jean-Charles Houemavo réunissaient quelques intimes, le cercueil de Jimmy, escorté par une Pat Mikell "complètement hystérique" regagnait les États-Unis et New York où Baldwin reposerait éternellement. Là-bas, les frères, les sœurs et les amis, les inconnus et les élèves avaient décidé de rendre à leur grand frère trop tôt parti un dernier hommage digne de la vie qu'il avait mené.

Le corps fut d'abord transporté 71e Rue, dans la maison que l'écrivain avait achetée dans les années 60 pour sa mère. La maison, comme au temps où Jimmy tenait table ouverte, ne désemplissait pas de tous ces orphelins, et les yeux rougis de par trop de larmes d'Emma, la mère, les accompagnaient avec le poids de son indicible douleur.

Pour lé cérémonie, ils n'avaient pas choisi moins que la cathédrale Saint John The Divine, celle-là même qui le récompensa en 1973, la plus grand cathédrale gothique du monde. Par une ironie du sort, Saint John, bâtie à l'origine pour la crème de l'élite blanche européenne, se trouvait désormais, par le jeu des migrations dans Harlem, à l'orée de Morningside Park. Selon le New York Times, les funérailles de Baldwin furent les premières à être célébrées dans la cathédrale depuis celles de Duke Ellington, en 1974.

Dès l'ouverture des portes, une foule contrastée, qui allait de l'ouvrier en bleu de travail à la femme d’affaires en manteau de fourrure...

D'après Horace Porter, il y avait même une vieille dame tout droit sortie des pages des Élus du Seigneur (Go Tell It On The Mountain) et qui affirmait avoir connu Badwin enfant.

Le programme de la cérémonie - JAMES ARTHUR BALDWIN 1924-1987 - était imprimé en caractère gras, illustré de trois photographies. La première représentait assis, bras croisés, le regard déterminé et calme; sur la seconde, un portrait en gros plan sur son visage, et la troisième un photo de groupe - Baldwin en compagnie de Marlon Brando, Charlton Heston, Harry Belafonte, probablement prise lors de la marche de 1963. Sur le dos du programme, un extrait de Sonny's Blues:

"Parce que même si le récit de la façon dont nous souffrons et de la façon dont nous éprouvons du bonheur, et de la façon dont nous pouvons triompher n'est jamais nouveau, il doit toujours être entendu. Il n'y a pas d'autres histoires à dire, c'est la seule lumière dont nous disposions dans toute cette obscurité. Et cette histoire, selon ce visage, ce corps, ces fortes mains sur ces cordes, prend une autre forme dans tous les pays, et une nouvelle profondeur dans toutes les générations."

Et puis, le programme, après une apologie de Baldwin, donnait le nom de ceux qui allaient prendre la parole pour une nouvelle fois dire l'histoire du mort Maya Angelou, Toni Morrison, Amiri Baraka. Ils étaient installés aux premiers rangs, ceux-là même que l'on avait réservés à la famille et aux personnalités. Emmanuel de Margerie, ambassadeur de France aux États-Unis, prit également la parole.

Après que la procession fut ouverte par le diacre de la cathédrale, le révérend père James P. Morton, qui suivait la famille et les "témoins", dans la nappe d'orgue qui ne parvenait pas à couvrir toute la douleur de ces cœurs meurtris, les tambours résonnèrent. Puis, lorsque tous furent en place, s'élevèrent les voix des chants et des prières. Le Psaume XXIII fut chanté. Et d'autres chants qui remontaient à des époques immémoriales et rappelaient (à la mémoire) le long voyage qu'avait dû accomplir la majorité de tous ceux qui (plusieurs milliers) se retrouvaient là.

Maya Angelou parlera la première, les larmes aux yeux, de ce grand frère qui "m'offrit ma première balade en limousine, me facilita la vie pour l'écriture de I Know Why The Caged Bird Sings... Je savais qu'il savait que les femmes noires peuvent trouver des amants aux coins des rues ou même sur les bancs des églises, mais des frères sont difficiles à rencontrer et aussi nécessaires que l'air et aussi précieux que l'amour."

Puis vint le tour de Toni Morrison. Elle fit une allocution beaucoup plus "littéraire" qu'émotionnelle, mais l'amour et le respect qu'elle éprouvait pour Baldwin n'en sortirent que plus grands:

"Jimmy, il y a trop à penser de toi, et trop à ressentir. La difficulté est que ta vie refuse tout résumé - elle l'a toujours fait - au lieu de cela, elle invite à la contemplation."

Amiri Barak conclut les allocutions avec son style vibrant de militant, plein de violence verbale et de poésie:

"Lorsque nous le voyions et l'entendions, nous nous sentions bien. Il nous faisait sentir, entre autres, que nous pouvions nous défendre et nous définir, que nous n'étions pas dans le monde que des esclaves animés, mais de terrifiantes et sensibles jauges de ce qui était mauvais , merveilleux ou affreux... C'est le feu qui terrifie nos pitoyables ennemis. Car nous ne sommes pas simplement vivants, mais terriblement précis dans nos chants et notre dédain."

Et puis, comme à Paris, s'éleva la voix du mort, comme pour une dernière fois montrer la voie. Il chantait Precious Lord.

Precious lord,

Take my handLead me on,

lLet me standI'm tired,

I'm weak,

I'm worn

Through the storm,

Through the nightLead me on to the lightPrecious lord,

Take my hand

Lead me home

Et s'élevèrent , après les pleurs et les prières, les tambours telluriques de Babatunde Olatunji. Soudain, la cathédrale Saint John The Divine, ai coeur de New York, se transformait en une Afrique jamais perdue.

Pages finales de la biographie de Njami Simon "JAMES BALDWIN ou le devoir de Violence" - aux éditions Seghers 1991

Njami Simon est né en 1962 à Lausanne (Suisse) de parents camerounais. Après des études de droit et de lettres, il travaille d'abord comme journaliste avant de se consacrer à la littérature. I la publié Cercueil et Cie (Lieu Commun 1985) les enfants de la cité (Gallimard jeunesse 1987), Les clandestins (Gallimard jeunesse 1989) et African Gigolo (Seghers 1989). Il a, d'autre part, dirigé le numéro spécial ethnicolor de la revue Autrement en 1987 et publié une nouvelle La Peur dans le Serpent à Plumes (été 1990)

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